Journée Mondiale des Sols

5 décembre 2025

15 December 2025

À l’occasion de la Journée mondiale des sols qui s’est tenue le vendredi 5 décembre 2025, le Centre de Géosciences et l’Institut Supérieur d’Ingénierie et de Gestion de l’Environnement (ISIGE) de Mines Paris – PSL mettent en lumière leurs travaux de recherche sur l’érosion, le transport des sédiments, la couverture végétale et la protection des sols, menés par une équipe pluridisciplinaire : Jean-Louis Grimaud, Olivier Stab, Christine Franke, Bruno Tessier, Sophie Guillon, enseignants-chercheurs au Centre de Géosciences et Emmanuel Garbolino, maître-assistant à l’ISIGE.

Observer, comprendre et quantifier l’érosion hydrique

Un phénomène en forte accélération

L’érosion hydrique, c’est-à-dire la perte de sol due à l’action de la pluie et du ruissellement, est aujourd’hui la forme d’érosion la plus préoccupante en Europe. Elle menace les terres agricoles, les zones de montagne, les vignobles et les régions méditerranéennes soumis à des pluies plus intenses et irrégulières.

Les chercheurs du Centre de Géosciences analysent ce phénomène à différentes échelles temporelles (de l’événement extrême au millénaire) et spatiales (des grands bassins versants à des surfaces de quelques mètres carrés).

Leur objectif : quantifier les taux d’érosion et modéliser les processus pour mieux comprendre comment ils évolueraient dans un climat plus chaud et plus contrasté.

Des échelles d’analyse complémentaires :

  • À l’échelle du bassin versant : L’érosion du bassin de la Canche (Nord-Pas-de-Calais) est le sujet d’une collaboration avec l’Université de Lille, l’IMT Nord Europe et l’IFP Energies nouvelles (IFPEN). Les flux sédimentaires y sont mesurés puis intégrés dans des modèles numériques tels que TOPMODEL, LisFlood ou CEASAR, notamment dans la thèse de Marylin Uchasara, doctorante au Centre de Géosciences. Le bassin de la Voire (Aube) a, quant à lui, été étudié sur le très long terme, pour un projet de stockage de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) ; la formation des ravines, l’érosion régressive et l’érosion diffuse ont été investiguées avec des modèles statistiques (RUSLE) et physiques (LEM)…
  • À l’échelle du paysage ou d’une pente : les processus physiques sont étudiés de manière plus fine : infiltration, ruissellement, détachement des particules par impact des gouttes de pluie, formation de rigoles, de micro-tunnels… suivant les caractéristiques intrinsèques et extrinsèques (humidité, rugosité de la surface, croûte de battance, couvert végétal…) du sol.

L’érosion dépend aussi des caractéristiques extrinsèques des sols : la couverture végétale, la rugosité, la présence d’une croûte de battance, la saturation en eau… qui nécessitent des mesures fréquentes par échantillonnage et des observations sur le terrain (Delaporte 2024)

 

Érosion des sols et changement climatique

Un risque majeur pour l’Europe

Les projections climatiques annoncent une augmentation de l’intensité des précipitations extrêmes, particulièrement dans le nord de la France et le Bassin parisien, qui pourraient adopter un climat méditerranéen dès la fin du siècle selon les scénarios les plus pessimistes. Les épisodes extrêmes, comme ceux qui ont touché l’Allemagne en 2021 dans le bassin versant de l’Aar ou en France la région de Valence en 2024, illustrent la violence potentielle des pluies dites centennales ou milléniales.

Mais au-delà de ces catastrophes, une érosion silencieuse et continue emporte chaque année environ 1 milliard de tonnes de sols, selon les estimations de la Commission européenne.  Outre la perte de sol, l’érosion entraîne des effets indirects tels que la dégradation de la qualité des eaux, l’augmentation des risques d’inondations et de coulées de boue et des engraissements sédimentaires des infrastructures des voies d’eau. Ces problématiques sont notamment au cœur du projet TRACS, en partenariat avec VNF (Voies Navigables de France) et l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. TRACS assure le traçage des sédiments agricoles et urbains, le transport hydro-sédimentaire et la valorisation des sédiments, en lien avec plusieurs partenaires industriels, dont EDF. L’érosion contribue également à une réduction des stocks de carbone des sols, aggravant ainsi le changement climatique. Face à ces enjeux, la lutte contre l’érosion des sols apparaît comme une priorité pour la durabilité des systèmes agricoles et la préservation des écosystèmes européens.

Les chercheurs de Mines Paris – PSL interrogent ainsi un enjeu crucial : les données historiques sont-elles encore pertinentes pour prédire l’érosion des sols dans un monde où le climat change rapidement ?

 

Modéliser la perte des sols : des outils d’aide à la décision

Pour éclairer les politiques publiques, l’ESDAC (European Soil Data Center) s’appuie sur des modèles comme RUSLE (Revised Universal Soil Loss Equation) pour, entre autres, établir des cartes d’érosivité des pluies — aujourd’hui, et dans les décennies à venir. Ces cartes indiquent déjà une augmentation significative du facteur R, c’est-à-dire de l’énergie potentielle des pluies pouvant provoquer de l’érosion. Pour faire face à ces risques, il est possible d’améliorer les pratiques agricoles pour une meilleure conservation des sols.

 

D’après la communauté scientifique, le facteur d’érosivité moyenne des pluies (R dans le modèle RUSLE) va augmenter drastiquement dans les décennies à venir.

Des enjeux pour la gestion des déchets

Protéger les sols de couverture

Au-delà des enjeux agricoles, l’érosion menace aussi les couvertures de stockage de déchets (notamment radioactifs), conçues pour durer plusieurs centaines à plusieurs milliers d’années. Sous l’effet de pluies extrêmes plus intenses, ces couvertures peuvent se dégrader compromettant leur rôle protecteur.

Le Centre de Géosciences mène, depuis de nombreuses années, des études sur le sujet pour l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA). Celles-ci s’appuient sur des approches complémentaires utilisant :

  • des modèles (statistiques) reposant sur des mesures (données météo, échantillons de sols…) comme RUSLE,
  • des simulations numériques de processus d’érosion diffuse ou chenalisée (avec des Landscape Evolution Models),
  • des modèles analogiques : des expérimentations à plus petite échelle dans des cellules climatiques.

L’installation expérimentale permet de reproduire des pluies extrêmes (jusqu’à 100 mm/h), de jouer sur l’humidité des sols (et donc de simuler l’impact de sècheresses) et d’observer en temps réel les processus d’érosion. Ce projet s’inscrit dans une collaboration avec le Centre de Stockage de la Manche (CSM) de l’ANDRA et l’Ecotron de Nemours (ENS) et offre de nombreuses perspectives dans le cadre du partenariat européen European Partnership on Radioactive Waste Management (EURAD2), au sein des workpackages CLIMATE et SUDOKU.

 

Un rôle clé du couvert végétal

La végétation constitue un levier essentiel dans la lutte contre l’érosion.

Au sein de l’ISIGE est menée l’étude de l’influence du couvert végétal sur la stabilisation des sols :

  • réduction de l’énergie cinétique des gouttes de pluie,
  • limitation du ruissellement,
  • amélioration de l’infiltration,
  • fixation des particules fines.

En 2022, un projet de restauration écologique (en collaboration avec l’entreprise ASES et la Fondation Life Terra) a été lancé dans un parc urbain de Nice, en sélectionnant des essences végétales issues de zones proches mais au climat plus sec, comme certaines régions d’Espagne. La résilience de ces espèces au changement climatique local a été testée numériquement à l’aide de modèles en prospective écologique développés au sein de l’ISIGE. Objectif : assurer leur survie face aux futurs épisodes de sécheresse tout en garantissant les services écosystémiques attendus. Résultat : plus de 80 % de succès d’implantation sur les 4000 plants testés, un taux prometteur qui confirme l’intérêt de l’approche.

Ces connaissances sont cruciales pour orienter les pratiques agricoles et restaurer les sols les plus vulnérables.

 

Une physique complexe, des défis multiples

L’érosion résulte d’un enchaînement de processus physiques se déroulant à différentes échelles :

  • micro : impact des gouttes de pluie (« effet splash »),
  • méso : ruissellement en nappe, formation de rigoles,
  • macro : ravinement, transport des sédiments vers et dans les rivières.

Les chercheurs du Centre de Géosciences travaillent à démêler cette complexité pour apporter des solutions concrètes à des enjeux de société : sécurité alimentaire, gestion des déchets, estimation des risques, adaptation des territoires au changement climatique.

 


Pour aller plus loin