Interview de Fadi Henri NADER

Nouveau Directeur du Centre de Géosciences

15 December 2025

Face aux transitions énergétique et écologique, les géosciences ont aujourd’hui un rôle déterminant : comprendre l’évolution des sols, gérer durablement les ressources du sous-sol – eau, minéraux, énergie – anticiper les impacts du changement climatique sur les territoires et accompagner des décisions publiques et industrielles.

Dans ce contexte, la nomination de Fadi Henri Nader, spécialiste reconnu des systèmes sédimentaires, des interactions fluide–roche et de la caractérisation multi-échelle du sous-sol, à la direction du Centre de Géosciences de Mines Paris – PSL s’inscrit naturellement dans la dynamique du centre. Son parcours international, ancré à la fois dans le terrain, l’expérimentation, la modélisation et la recherche appliquée, apporte une vision intégrée et stratégique des enjeux ressources–énergie–environnement. 

À l’occasion de la Journée mondiale des sols qui s’est tenue vendredi 5 décembre dernier, cette prise de fonction réaffirme la place centrale du centre dans la connaissance, la préservation et la gestion durable des sols et des ressources du sous-sol, au service des transitions de nos sociétés.

  • Fadi Henri, votre parcours en quelques mots : quelles expériences fondatrices vous ont conduit à prendre la direction du Centre de Géosciences ?

J’ai découvert la géologie très tôt au Liban, dans un environnement où les paysages karstiques sont omniprésents. Entre scoutisme, spéléologie et premiers travaux de terrain, cette proximité avec les systèmes naturels m’a très vite orienté vers les géosciences.

Après une licence et durant mon master à l’American University of Beirut (AUB), j’ai travaillé six ans comme hydrogéologue de terrain, une période décisive qui a profondément ancré mon approche appliquée.

En 2000, j’ai obtenu une bourse du CNRS libanais pour réaliser une thèse à la KU Leuven en Belgique. De retour à l’AUB comme professeur assistant, j’ai ensuite rejoint IFP Energies nouvelles (IFPEN) en 2007, où j’ai développé des recherches sur les systèmes sédimentaires, les interactions fluide–roche et la caractérisation multi-échelle des réservoirs. Depuis 2019, je suis également professeur à l’Université d’Utrecht, titulaire de la chaire Multiscale Fluid–Rock Interactions.

Ces expériences — terrain, laboratoire, modélisation, enseignement — ont façonné une vision intégrée des géosciences, au cœur des enjeux énergie–ressources–environnement.

C’est cette vision que je souhaite aujourd’hui mettre au service du Centre de Géosciences.

Cette trajectoire s’est naturellement accompagnée d’une spécialisation scientifique centrée sur la compréhension fine des complexités du sous-sol. Mes travaux portent sur la sédimentologie et l’analyse intégrée des bassins, avec l’objectif d’éclairer les usages du sous-sol dans le contexte des transitions actuelles, qu’il s’agisse d’énergie ou de stockage. J’étudie en particulier la caractérisation et la modélisation multi-échelle des bassins sédimentaires, aquifères et réservoirs, de façon pluridisciplinaire. Les interactions roche–fluide constituent l’un de mes fils conducteurs scientifiques, à la fois au sein du laboratoire et sur le terrain ou dans mes travaux de modélisation, tout comme la transmission des savoirs : l’enseignement, le coaching et le mentoring sont des dimensions importantes de mon engagement académique.

Le Centre de Géosciences réunit des compétences uniques : terrain, expérimentation, modélisation, géochimie, géomécanique, géophysique… Il dispose aussi de moyens expérimentaux et numériques exceptionnels.

Pour moi, c’est une grande opportunité de faire partie de cette maison prestigieuse et de rejoindre un collectif d’excellence qui a le potentiel de contribuer réellement aux enjeux majeurs pour la transition énergétique, hydrogéologique et environnementale de nos sociétés.

  • Quelle est votre vision pour le Centre de Géosciences ?

Avant de définir une trajectoire, je souhaite d’abord écouter les équipes, comprendre leurs projets, leurs dynamiques et leurs besoins.

Avec ce regard préalable, trois axes me semblent structurants :

  • Renforcer la transversalité scientifique, en facilitant les interactions naturelles entre terrain, modélisation, expérimentation, géochimie, géophysique et géomécanique.
  • Valoriser les moyens expérimentaux et numériques, qui constituent un atout unique au sein de Mines Paris – PSL. Leur visibilité et leur intégration dans les projets nationaux et internationaux doivent être amplifiées.
  • Accroître la visibilité externe du centre, tant dans l’écosystème académique qu’auprès des partenaires industriels, institutionnels et internationaux.

Cette vision n’est pas un programme arrêté, mais une base de discussion que je souhaite construire collectivement avec les équipes.

  • Les transitions énergétique et environnementale transforment profondément notre rapport au sous-sol. Selon vous, quel rôle doivent jouer les géosciences dans ce contexte ?

Les transitions énergétique, hydrogéologique et environnementale reposent sur une compréhension fine du sous-sol. Or, celui-ci est complexe, hétérogène et difficile à prédire — mais incontournable.

  • Ressources : gérer durablement l’eau, les minéraux et l’énergie nécessite une connaissance scientifique solide et intégrée.
  • Changement climatique : les impacts sur les sols, les aquifères, les réservoirs et les structures géologiques ne peuvent être anticipés qu’en mobilisant l’expertise des géosciences (au sens large).
  • Décision publique et industrielle : les géosciences doivent éclairer les stratégies, avec rigueur mais aussi avec un langage accessible aux décideurs et aux citoyens.
  • Innovation responsable : il ne s’agit pas de « techno-push », mais de construire des solutions à partir des besoins réels des territoires et des acteurs.

Dans ce contexte, le Centre de Géosciences a un rôle clé à jouer : produire de la connaissance fondamentale et appliquée, mais aussi contribuer au débat public par une expertise indépendante.

  • À l’occasion de la Journée mondiale des sols, comment le centre contribue-t-il à la compréhension et à la préservation des sols ?

Le Centre de Géosciences mène depuis longtemps des travaux majeurs sur l’érosion, la dynamique sédimentaire et l’évolution des paysages, des processus essentiels pour comprendre la dégradation des sols.

Voici quelques contributions emblématiques du Centre de Géosciences :

  • Bassin de la Canche (Nord Pas-de-Calais) : ces travaux sont menés par Christine Franke, en partenariat avec l’Université de Lille, IMT Nord Europe et l’IFPEN, combinant mesures de terrain, analyses et modélisation (TOPMODEL, LisFlood, CEASAR). Ces données alimentent la thèse de Marylin Uchasara.
  • Projet TRACS avec Voies Navigables de France (VNF) et l’Agence de l’Eau Artois-Picardie : ce projet, porté par Sophie Guillon, assure le traçage des sédiments agricoles et urbains, le transport hydro-sédimentaire, et la valorisation des sédiments, avec des partenaires industriels, notamment EDF.
  • Bassin de l’Orgeval : les suivis de ce projet sont menés par Sophie Guillon et se concentrent sur les matières en suspension, les gaz du sol (O₂, CO₂) et les flux de carbone, pour relier érosion, hydrologie et dynamique biogéochimique.
  • Partenariat historique avec l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) : ces études expérimentales et numériques, suivies par Jean-Louis Grimaud et Olivier Stab, estiment la résistance des couvertures des sites de stockage aux processus d’érosion, notamment dans le European Partnership on Radioactive Waste Management (EURAD2) au sein des workpackages CLIMATE et SUDOKU, le projet de stockage de déchets FAVL dans l’Aube, ou encore avec la thèse de Gabriel Portzer sur la couverture du Centre de stockage de la Manche.
  • Sols et ressources minérales : certains travaux portent sur les sols latéritiques en Afrique ou en Nouvelle Calédonie comme témoins des paléoclimats et comme porteurs de ressources minérales. En Nouvelle Calédonie, nos travaux s’intéressent à la concentration du Nickel dans ces sols en lien avec l’évolution du paysage (CNRT, Jean-Louis Grimaud) ainsi qu’à la chaine d’extraction des minerais dans les processus industriels (Chaire Prony, Damien Goetz).

Pour mener à bien l’ensemble de ces projets, le centre mobilise un ensemble d’outils et d’infrastructures de pointe. Nos équipes déploient des méthodes combinant relevés de terrain et analyses fines en laboratoire pour quantifier les taux d’érosion et caractériser les sédiments. Ces données alimentent ensuite des modèles numériques, tels que RUSLE qui évalue les pertes de sols par unité de surface, ou encore différentes modélisations de l’évolution du paysage, qui offrent des solutions pour tester un grand ensemble de scénarios climatiques tout en considérant de nombreux processus physiques, chimiques et biologiques. Nous nous appuyons également sur des plateformes expérimentales, capables notamment de simuler des événements extrêmes comme des pluies intenses dépassant 100 mm/h, le tout en collaboration avec l’Écotron de Nemours.

Ces travaux éclairent directement les enjeux agricoles, hydrologiques, climatiques et industriels.

 

Quels sont les grands chantiers ou projets que vous souhaitez impulser ?

Ces priorités seront construites collectivement avec les équipes, mais plusieurs pistes se dégagent déjà :

  • Développer de nouveaux projets structurants, à l’interface entre terrain, modélisation et expérimentation, notamment autour de la vulnérabilité des sols, des ressources en eau, des géomatériaux, du CO₂, de la caractérisation des réservoirs et des impacts climatiques.
  • Renforcer la valorisation, en donnant davantage de visibilité aux outils, plateformes, modèles et données produits par le centre.
  • Élargir l’offre de formation, en mobilisant l’expertise terrain et les compétences expérimentales uniques du centre.
  • Devenir un acteur clé de l’aide à la décision, en proposant des analyses scientifiques robustes aux collectivités, institutions, industriels et acteurs publics.

Ces chantiers doivent renforcer le positionnement du Centre de Géosciences comme un acteur scientifique de référence pour les transitions.