Georges Matheron

Professeur Georges Matheron (1930 – 2000)

Une vie consacrée à la modélisation probabiliste
Le professeur Georges Matheron, est le fondateur de la géostatistique. C’est à l’École Polytechnique (X49), puis à l’École des Mines de Paris (ingénieur du Corps des Mines), qu’il se perfectionne en mathématiques, physique et probabilités. Il aura notamment comme professeur l’un de géants des probabilités, Paul Lévy, dont on sentira l’influence tout au long de son œuvre.De 1954 à 1963, lors de son passage au Bureau de Recherches Géologiques et Minières en Algérie et en France, il découvrira les travaux pionniers de l’école sud-africaine (Krige, Sichel, de Wijs) consacrés aux mines d’or du Witwatersrand et élaborera à cette occasion les concepts majeurs de la géostatistique, théorie pour l’estimation des ressources naturelles. Ces premiers travaux trouvent leur aboutissement par la publication de deux ouvrages (Mémoires du BRGM):

  • Le monumental Traité de géostatistique appliquée (Editions Technip, France, 1962-63), où sont définis les outils fondamentaux de la géostatistique linéaire : variographie, variance d’estimation et variance de dispersion, krigeage, appelé ainsi d’après les contributions de l’ingénieur sud-africain Danie Krige (on pourra consulter l’article de l’Encyclopedia Universalis consacré à cette théorie),
  • Un livre plus théorique, sa thèse, intitulé Les variables régionalisées et leur estimation: une application de la théorie des fonctions aléatoires aux sciences de la nature, publié par Masson en 1965.

De 1964 à 1968, G. Matheron porte son attention à la caractérisation mathématique des formes et crée, en collaboration avec Jean Serra, une nouvelle discipline : la  Morphologie Mathématique, devenue aujourd’hui un des volets incontournables du traitement d’image. A la même époque, il travaille aussi en hydrodynamique et publiera en 1967 les Éléments pour une théorie des milieux poreux (Masson).

Après avoir développé un enseignement de probabilités et de géostatistique à l’École des Mines de Nancy, G. Matheron rejoint l’École des Mines de Paris et en 1968, prend la direction d’un centre de recherche nouvellement créé sur le site de Fontainebleau, le Centre de Morphologie Mathématique (CMM). Du fait de la diversité de ses applications, celui-ci sera rebaptisé Centre de Géostatistique et de Morphologie Mathématique (CGMM) en 1979, puis finira par se diviser en 1986, avec J. Serra directeur du nouveau Centre de Morphologie Mathématique, et G. Matheron directeur du Centre de Géostatistique (CG). Le fameux Fascicule 5 des Cahiers du Centre de Morphologie Mathématique de Fontainebleau, intitulé La Théorie des variables régionalisées, et ses applications (Matheron, 1970) sera la bible géostatistique de nombre d’étudiants et chercheurs.

A Fontainebleau, G. Matheron fera preuve d’une créativité débordante, développant avec une équipe de collaborateurs (André Journel, Alain Maréchal, Pierre Delfiner, Jean-Paul Chilès, pour citer quelques anciens) les concepts de la géostatistique non linéaire et de la géostatistique non stationnaire, tout en gardant un intérêt marqué pour les autres problèmes d’exploitation minière (comme l’optimisation des fosses à ciel ouvert) et pour la Morphologie Mathématique. Il publiera en 1975  Random sets and integral geometry (Wiley), une contribution essentielle à la théorie des ensembles aléatoires.

G. Matheron, dont toute la vie a été consacrée à la recherche, a publié plus de 250 notes et cinq livres. Son œuvre regorge d’idées, de concepts et de modèles qui nous inspireront, nous ingénieurs et chercheurs. Une grande partie de ces publications sont disponibles dans la bibliothèque en ligne de l’équipe Géostatistique.

Au travers de cette production abondante et éclectique, nous retrouvons un thème récurrent: l’emploi de modèles probabilistes. G. Matheron a montré une capacité exceptionnelle à attaquer des problèmes réputés insolubles, à les ramener à des questions plus simples qu’il résout par des modèles appropriés. C’est ainsi que les méthodes et concepts qu’il a développés sont encore d’actualité: ils répondent à des problèmes réels.

La meilleure preuve en est l’étonnante variété des applications de la géostatistique: autrefois confinée aux applications minières, elle est aujourd’hui utilisée en pétrole, forêts, agronomie, océanographie, météorologie, halieutique, environnement, etc.

Cette accumulation d’expérimentations à modéliser des phénomènes naturels  uniques par une approche probabiliste conduisirent G. Matheron à écrire en 1978 Estimer et choisir: un essai sur les probabilités appliquées que toute personne éprise de probabilités se doit de lire. Comme le note A.M. Hasofer dans la préface à la traduction anglaise (Estimating and choosing: an essay on probability in practice, Springer, 1989):

“Lire l’œuvre de Matheron est une illumination. Nous y trouvons un cadre élaboré cohérent menant à l’emploi purement objectif des modèles probabilistes pour la description de phénomènes uniques. Par une vision unifiante, Matheron a été capable d’éliminer de la pratique des probabilités toute la gangue philosophique qui l’avait rendue obscure et confuse depuis des décennies. Il nous propose une ligne directrice pour déterminer l’adéquation et les limites de la modélisation probabiliste”.

Au-delà de ses capacités scientifiques exceptionnelles, G. Matheron a été, au sens propre, un maître: combien d’étudiants ou de professionnels n’ont-ils pas vu leur carrière initiée ou modifiée par son enseignement, ses publications, ou par des échanges avec lui ?

La disparition de Georges Matheron en 2000 marque la fin d’une ère : outre ses nombreux écrits, il laisse derrière lui deux disciplines en pleine expansion, la Géostatistique et la Morphologie Mathématique.